Monnaie de Paris : Interview de Joaquin JIMENEZ, un graveur du classicisme à la modernité

NUMISMAG a interviewé le directeur de la création et le chef du service de la gravure de la Monnaie de Paris, Joaquin JIMENEZ. Nous remercions Joaquin pour le temps qu’il a bien voulu nous accorder pour la réalisation de cette interview.

NUMISMAG: Quel a été votre formation initiale?

J.JIMENEZ: je suis passé par des études classiques : lettres et Beaux Arts.

500 francs or – Renouveau des JO d’Hiver 1992 de J. JIMENEZ

NUMISMAG: Quel est votre parcours professionnel?

J.JIMENEZ: J’ai travaillé chez différents éditeurs privés de médailles tels qu’Arthus BERTRAND ou PICHARD BALME. Je me suis spécialisé dans le modelage de médailles gros module durant le début des années 1980. En 1986, j’ai participé au concours de la Monnaie de Paris pour une pièce Coq et Marianne, voulue par le gouvernement de Pierre BEREGOVOYE. J’ai gagné ce concours monétaire. C’était un nouveau champ d’expression artistique qui s’ouvrait à moi. Malheureusement, il y a eu ensuite une alternance politique et le nouveau gouvernement d’Edouard BALLADUR n’a pas souhaité reprendre le programme monétaire du gouvernement précédent. Aussi la Monnaie que j’avais créée fut rapidement retirée de la circulation.

10 francs Marianne 1986 – création J. JIMENEZ

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J’ai par la suite participé et remporté d’autres concours de la Monnaie de Paris, pour la 5 francs Tour Eiffel notamment ou pour la série sur les jeux olympique d’Albertville en 1992.

5 francs Tour EIFFEL commémorant ses 100 ans – création J. JIMENEZ

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J’ai également gagné le concours pour le dessin de l’avers des pièces de 1 et 2€ françaises de circulation courante.

Revers des pièces de 1 et 2€ françaises depuis 2002 – création J. JIMENEZ

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Le dernier concours que j’ai gagné est le concours des euros de la série du 20^ème siècle.

Coffret BE Inventions du 20eme siècle – création J. JIMENEZ

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J’ai également réalisé des médailles grand module pour des clients prestigieux tels que la Présidence de la République française. Enfin, j’ai travaillé dans le domaine monétaire pour de nombreux pays étrangers tels que les Pays Bas pour qui j’ai réalisé des pièces en florin, le Danemark, la Norvège ou encore les pays baltes pour lesquels j’ai réalisé une monnaie colorisée commémorant leur indépendance. L’association, peu courante à l’époque, de la tampographie à la gravure monétaire était un défi intéressant.

100€ or 2009 « la semeuse en marche » ou la semeuse cynétique – J. JIMENEZ

NUMISMAG: Vous étiez au départ un travailleur indépendant. Comment avez-vous intégré in fine l’équipe de la Monnaie de Paris ?

J. JIMENEZ: En fait, depuis que j’ai commencé à participer à des concours monétaires, les directions successives de la Monnaie de Paris m’ont invité à intégrer leur équipe. J’avais toujours refusé, souhaitant préserver mon indépendance. Cependant, nos liens étant de plus en plus étroits au fil du temps, il m’a semblé naturel d’intégrer l’équipe de Christophe BEAUX, lorsque celui-ci en a exprimé le souhait, en 2008.

Coffret Coupe du Monde de 1998 – création J. JIMENEZ

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NUMISMAG: Quelle fonction exercez-vous au sein de la Monnaie de Paris?

J. JIMENEZ: Je suis le directeur de création et co-responsable de l’atelier de gravure. Je supervise donc l’ensemble des travaux de l’équipe de gravure de la Monnaie de Paris et le dirige avec mon collègue et ami Y. SAMPO. Depuis que j’ai repris l’atelier de gravure, j’ai le souci de mettre la créativité et la qualité de la gravure au premier plan de nos préoccupations. L’innovation technologique concernant les métaux utilisés ou encore les techniques de frappe sont importantes, mais la qualité de la gravure et la transmission des savoir-faire sont primordiaux pour moi.

10€ des régions – Région Centre 2010 – création J. JIMENEZ

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NUMISMAG: Quels ont été vos maitres en matière de gravure?

J. JIMENEZ: J’ai eu la chance de travailler avec Maître Emile ROUSSEAU, ancien grand prix de Rome et le dernier graveur récompensé par ce prix à avoir travaillé comme graveur général à la Monnaie de Paris (NDLR: Le grand prix de Rome de gravure sur métaux n’existe plus depuis 1966).

Il a notamment réalisé la 1 franc Charles de Gaulle 1988 ou la 2 francs Jean MOULIN en 1993.

Quelques mots sur Emile Rousseau

Emile Rousseau (1927-2010) a fait ses études à l’école Boulle entre 1942 et 1945, puis à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris. Il entre en 1946 dans l’atelier d’Henri Dropsy à l’école. Il reçoit le deuxième second grand prix de Rome en 1954.

Par la suite, il séjourne six mois à la Casa Velasquez à Madrid. En 1957, Émile Rousseau obtient le premier grand prix de Rome de gravure en médailles. Il séjourne alors trois ans à la Villa Médicis à Rome.

En avril 1974, il est nommé Graveur général des monnaies et aura, comme différent monétaire, un dauphin. Il quittera ses fonctions en 1994 avec la nomination de Pierre RODIER pour prendre sa succession.

J’ai eu également Pierre RODIER comme modèle. Il est le dernier graveur général de la Monnaie de Paris (1994-2001). C’est lui qui a notamment préparé le passage à l’euro et assuré la supervision de la gravure de la nouvelle série divisionnaire de pièces de circulation françaises. Un très grand graveur pour qui j’ai un grand respect et que j’écoute toujours aujourd’hui.

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Quelques mots sur Pierre Rodier

Né en 1939 et fils d’un ancien graveur de la Monnaie de Paris, Pierre RODIER intègre la Monnaie de Paris le premier octobre 1962, après avoir suivi un cursus de graveur sur métaux à l’école BOULLE et après avoir passé 28 mois en Algérie.

Il est recruté sur concours et travaillera pendant 38 ans à la Monnaie de Paris. Il est le dernier graveur général de la Monnaie de Paris et quitte ses fonctions en 2001 après avoir supervisé la conception des nouvelles pièces françaises de circulation en euro.

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NUMISMAG: Quelle est la signification de votre différent monétaire (signature du graveur sur les pièces de monnaies)?

J. JIMENEZ: Mon différent monétaire représente un carré dans un autre carré plus grand. Le carré représente dans un premier temps deux lettres « J », mes initiales, qui se confondent. Au-delà, c’est un symbole d’emprise dans la terre. C’est également une figure géométrique qui symbolise la nécessité de toujours remettre le travail sur l’établi, pour atteindre la perfection. Même si celle-ci n’est jamais vraiment atteinte. Le travail du graveur nécessite toujours une assiduité soutenue. Le tout est intégré dans une forme ronde, une pièce, symbole de perpétuité, d’eternel recommencement et d ‘ inaccessible perfection.

Différent monétaire de J. JIMENEZ

Le Coq revu par J. JIMENEZ – 2014

NUMISMAG: Quelle(s) est (sont) votre (vos) source(s) d’inspiration?

J.JIMENEZ : Je suis assez éclectique. La curiosité intellectuelle, La littérature, la musique, la culture en général me semble très importante pour nourrir la réflexion et le discours artistique. En matière de sculpture, jeune artiste, j’ai été très impressionné par le travail de RODIN. Lorsque j’ai vu pour la première fois ses œuvres, le baiser, le penseur, j’ai pris une claque. J’ai d’ailleurs initié le projet de monnaie commémorative émise par la Monnaie de Paris en 2017 qui commémore cet artiste et son œuvre. Germaine Richier et Louise Bourgeois sont des références absolues.

En matière de peinture c’est difficile de faire un choix : VELASQUEZ, PICASSO, BACON, BANKSY, Lucian FREUD peintre et graveur anglais, d’origine allemande, (1922-2011), petit fils du psychanalyste Sigmund FREUD et … Mais j’aime également les artistes contemporains comme Maurizio CATELANNE, Giuzeppe PENONE, Jean-Michel ALBEROLA, Jean-Michel BASQUIAT et tant d’autres.

J’ai beaucoup aimé travailler avec le plasticien SUBODH GUBTA très récemment, qui a d’ailleurs pris résidence à la Monnaie de Paris pour y créer une médaille et à l’occasion d’une grande Exposition poser une œuvre colossale, un arbre métallique de plusieurs mètres de haut dans la cour principale de l’Hôtel des Monnaies. Un chêne figure sur l’avers des pièces françaises de 1 et 2€ et dont je suis le créateur, j’aime les arbres.

Par ailleurs, la Monnaie de Paris profite de l’occasion pour organiser une exposition sur l’art de la médaille en Inde, intitulée un rêve d’ailleurs, du 13 avril au 28 octobre 2018 au 11 Quai Conti. La Monnaie de Paris est de toute manière un creuset artistique depuis plus de 800 ans. C’est un atout considérable en matière de création artistique, quel que soit le support.

2€ commémorative 2015 – Marianne – création J. JIMENEZ

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NUMISMAG: Quelle est l’orientation stratégique actuelle de la Monnaie de Paris?

J.JIMENEZ: La Monnaie de Paris est un acteur de premier plan sur le marché de la numismatique. Nous avons constaté que l’âge moyen des collectionneurs est de plus en plus élevé et que la pérennité de notre activité passe par le renouvellement des générations de collectionneurs. C’est la raison pour laquelle nous avons développé par exemple cette année une gamme de pièces commémoratives non circulantes à l’effigie de Mickey. Il est important que nous suscitions de nouvelles vocations à collectionner nos monnaies parmi les plus jeunes.

Coupe du Monde de Football 1998 – Allemagne – 1998, J. JIMENEZ

NUMISMAG: Comment souhaitez vous mieux appréhender le marché domestique de la monnaie de Paris?

J. JIMENEZ: Nous sommes à l’écoute des acteurs du secteur pour élaborer et intéresser notre stratégie marketing et commerciale, c’est indispensable. Cela se pratique par exemple en Finlande où un comité de cette nature est consulté avant la mise en place du plan annuel des émissions numismatique de la Monnaie de Finlande.

2€ commémorative 2017 – Auguste RODIN de J. JIMENEZ

NUMISMAG: Quelles sont les futures innovations technologiques sur lesquelles la Monnaie de Paris travaille actuellement?

J. JIMENEZ: Nous avons des projets d’innovations techniques et un projet artistique sur la pièce qui sera dédiée à BOUCHERON, dans la série « l’excellence à la française » en 2018. Mais je ne peux pas vous en dire plus pour le moment…
J’aimerai bien par exemple que la Monnaie de Paris frappe une monnaie trimétallique, qui existait à l’époque du franc (20 francs Mont Saint Michel, 20 francs jeux méditerranéens et Pierre de Coubertin).

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NUMISMAG: Quel est selon vous l’avenir de la numismatique en France et en Europe?

J. JIMENEZ: Je pense qu’il y aura toujours des collectionneurs mais qu’il nous appartient (NDLR: la Monnaie de Paris) de traiter des sujets au travers de nos émissions monétaires qui satisfont aussi bien les numismates classiques, donc plutôt conservateurs, qu’un public plus jeune.

Je regrette toutefois, en tant que graveur, que des pays européens fassent de plus en plus appel à des créateurs issus du monde de la publicité plutôt qu’à des graveurs sur métaux pour la conception de leurs monnaies. En effet, ces créateurs ont certes du talent, mais leurs créations sont souvent en 2D. Le relief a pour ainsi dire disparu de leurs monnaies, ce qui les rend ternes, sans vie ou sans sensibilité. La sensibilité de la gravure était un thème cher à Pierre RODIER par exemple. C’est une évolution que je regrette. On peut toutefois constater que la tendance internationale des émissions numismatique est à l’augmentation du volume, ce qui n’est pas pour me déplaire.

10€ des régions 2012 – Champagne Ardennes – création J. JIMENEZ

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NUMISMAG: Croyez vous en une société sans cash?

J.JIMENEZ: J’ai beaucoup de mal à y croire. Que l’usage du cash se réduise, c’est possible mais,,si l’on prend l’exemple de la Suède, l’analyse est intéressante. Ce pays a voulu une société sans cash au point d’abandonner son atelier monétaire. Or, ces derniers mois, la presse s’est faite l’écho d’une envolée sans précédent de la fraude aux moyens de paiements dématérialisés dans ce pays. Au point que le gouvernement suédois songe sérieusement à faire marche arrière…Non, selon moi, l’avenir de la monnaie métal est moins compromis qu’on ne le pense. Le développement des moyens de paiement dématérialisés est inévitable mais La Monnaie de Paris frappera pendant encore longtemps des pièces de monnaie.

1000€ or 2011 – J. JIMENEZ

Sources: Monnaie de Paris, J. JIMENEZ et NUMISMAG©.