Les Bons commerciaux des Unions Economiques – 1re Partie

Les Bons commerciaux des Unions Economiques – 1re Partie

Qu’est-ce que les Unions Economiques et commerciales ? 

Les Unions Economiques et commerciales sont le rassemblement de petits et moyens commerces qui ont eu pour but de lutter contre la concurrence des grands magasins comme les Nouvelles Galeries, Le Bon Marché, Le Bazar de l’Hôtel de Ville et nombres de grands magasins provinciaux. Cette concurrence réduisait fortement le chiffre d’affaires des petits et moyens commerçants. Forts de ce constat, les commerces se sont réunis en fondant des Unions Economiques, associations ou sociétés de droit privé, fédérées ou pas, pour donner aux détaillants la possibilité de vendre à crédit et grouper autour d’eux, sous la même bannière, tous ceux qui, dans une même localité, ont des intérêts similaires, en vue de développer les rapprochements entres tous les commerçants. C’est grâce à ces regroupements que l’idée des achats en commun, plus avantageux, a pu être développée.

La vente à crédit
L’autre grand axe stratégique des UE est la vente à crédit par abonnement. Pour faire du crédit, il faut avoir des capitaux et être organisé autour d’une structure. Les crédits proposés aux clients se faisaient en général sur de petit montants et de courtes durées, de 6 à 12 mois, voire 18 pour certains d’entre eux. Ils étaient donnés sous forme de ristournes appelées souvent « Bonis » et remis sous forme de bons d’achat ou bons de crédit, ressemblant fortement à des billets de banque, et reçus comme argent comptant chez les commerçants affiliés. Souple pour les acheteurs qui n’étaient pas limités à un seul magasin, cette technique de vente à l’abonnement a eu pour effet que les UE étaient une sorte de 3ème voie entre le crédit commercial direct et le crédit bancaire des organismes spécialisés. Les UE tirent leur profits de l’intérêt perçu sur les acheteurs et des ristournes que leur consent les commerçants. Les bons dépensés chez les commerçants sont ensuite présentés par ceux-ci aux UE qui peut les leur rembourser au comptant, ou plus généralement à termes, sous 90 jours.

Les débuts
Les premières unions sont apparues dans leurs premières formes, à la fin du 19ème siècle, comme l’Union de Limoge en 1881. Mais c’est surtout au tout début du 20ème siècle que leur développement s’est considérablement accru. Dès 1914, il y avait environ 150 Unions Economiques parmi lesquelles 98 étaient fédérées. Les premières virent le jour dans le nord de la France en 1901, à Lille d’abord, puis à Boulogne sur Mer et à Saint Quentin, puis en 1902 à Amiens, Tergnier, Valenciennes et Cambrai. Elles ont toutes eu un fort ancrage régional. Le nord, le midi-méditerranéen et l’aquitaine représentent leurs bastions.

Au début du 20ème siècle, la vente à crédit n’avait pas forcément bonne presse. Même au sein du parlement, certains les comparaient à des entreprises de spéculation. Mais d’autres, comme le député Emile Basly, ont pris la défense du crédit et des Unions Economiques. (Emile Basly fut député du Pas-de-Calais de 1891 à sa mort en 1928. Il a inspiré à Emile Zola le personnage d’Étienne Lantier dans Germinal). En effet ce député, dans un rapport de 1917, avait proclamé que « Le crédit était absolument nécessaire, surtout parmi les populations ouvrières auxquelles il permet l’organisation d’un ménage, la résistance aux maladies, le supportement du chômage et le pouvoir de faire grève !… et ce qui est sûr, c’est que le petit commerce s’il veut garder la clientèle de l’ouvrier, de l’employé, du petit fonctionnaire, il est obligé de faire crédit ».

 

Emile Basly, député SFIO du Pas-de-Calais

Le développement
Et le besoin en petit crédit fût grand, car le développement des Unions Economiques dans toutes la France jusqu’à la seconde guerre mondial fut important. Le crédit pratiqué par les UE poursuivait uniquement un but de défense commerciale ; il n’y avait pas de majoration, puisque les UE ne vendaient aucune marchandise, que leurs clients touchaient intégralement le montant de leur ouverture de crédit, et que le commerçant était engagé, par contrat, à livrer au même prix qu’au comptant ; il n’y avait pas d’usure, puisque l’emprunteur ne payait quelquefois rien à l’UE ou seulement un droit minime, qui compensait à peine les intérêts de l’argent prêté.
Les UE finançaient l’habillement qui représentait 60% du chiffre d’affaires des commerces affiliés, 20% pour l’ameublement, le reste représentait des articles de quincaillerie, objets pour le ménage, vente de bicyclettes, etc…
Il y a eu peu de place pour les UE en région parisienne et à Paris même, principalement à cause de la vente par abonnements déjà pratiquée par les grands magasins Parisiens. Jusqu’en 1918, l’est de la France, occupé par les allemands, n’a pas connu les Unions Economiques.

La Fédération des Unions Economiques
L’idée de fédérer les Unions se concrétisa avec la constitution en 1907 de la Fédération des Unions Economiques. Le siège se trouvait à Saint Quentin dans l’Aisne. Leur utilité sociale fut reconnue par les pouvoirs publics qui leur avaient décerné dans la section d’économie et de prévoyance sociale, des médailles d’or à Lyon en 1914, à Marseille en 1922 et au Mans en 1923, pour les plus anciennes. La fédération publia dès le 1er décembre 1907 le “Bulletin de la fédération“.

Les Bons commerciaux des Unions Economiques et Commerciales
Toutes les UE n’ont pas émis de bons et toutes celles qui en ont émis ne l’ont pas fait dès le début de leur activité. Les plus anciens bons retrouvés sont issus de quelques Unions Economiques, comme la Mutuelle Bordelaise créée en 1905 qui émis ses premières coupures entre 1905 et 1910 ; le comptoir de Crédit du Sud-est de Nice, devenu par la suite l’Union Commerciale Niçoise, dont les 1er bons émis sont datés de 1910. On peut citer également l’Union Economique Roannaise créée en 1908, qui émis ses 1er bons à la veille du conflit de 1914.

 

La Mutuelle Bordelaise - bon de 2 Francs - union des commerçants bordelais

L’avers (ci-dessus) et le revers (ci-dessous), d’un des plus anciens bon émis par une UE en France.
Le 2 Francs de la Mutuelle Bordelaise – Vers 1905/1910

      La Mutuelle Bordelaise - bon de 2 Francs revers - union des commerçants bordelais

 

Comptoir de Crédit du Sud-Est de Nice - Bon de 50 centimes

Bon de 50 centimes du Comptoir de Crédit du Sud-Est, avec date au tampon de l’UE du 10 novembre 1910

Mais le plus grand développement de ces bons commerciaux se fit surtout après la guerre de 1914/18, du début des années 20 à la veille de la seconde guerre mondiale.
La fédération tenta d’uniformiser la création et la fabrication des bons. C’est pour cela que durant les années 1920 /1930, un nombre assez important de billets avait le même dessin. Ce sont les établissements Bourquin à Reims qui en faisaient la conception et la fabrication. Mais cette tentative échoua à terme, chaque UE voulant avoir sa propre création et faisant travailler des artistes illustrateurs et entreprises locales, pour la plus grande joie des collectionneurs d’aujourd’hui !

 

Quelques exemples du modèle de bons que la fédération voulait généraliser. 
La couleur des 2 premiers est la plus courante.
Il existe 2 formats : un petit (Douai, Hénin Liénard,…) 13,4 x 8,6 cm et un plus grand (Boulogne et Roanne)17,7 x 12 cm.

 

Les Valeurs des bons commerciaux des années 1920/1945 étaient de 0,25 francs à 500 francs. Les montants les plus courants étaient de 5, 10, 20, 50 et 100 francs.
Quelques UE ont émis des bons de 500 francs comme l’union Union Economique Roannaise.

 

l'Union de Economique des commerçants de Livourne - Bon de 25 centimesBon de 25 centimes de l’Union de Economique des commerçants de Livourne fondée en 1907 – vers 1920/1930
Représentation de Fortuna avec ses attributs : les ailes, la roue et la corne d’abondance.
Bon de grande taille pour une petite valeur :  17,4 x 12 cm

 

Créativité et symbolique
Les bons émis par les UE sont d’une grande diversité graphique. Certains ont été inspirés des créations de La Banque de France, mais la plupart étaient des créations originales. Cela va de modèles simples sans véritable créativité à des modèles beaucoup plus élaborés. Les impressions sont en majorité monochromes et certaines en deux couleurs. Il faudra attendre les dernières réalisations des années 50/60 pour voir apparaître quelques rares cas d’impression en polychromie.

l'Union Economique Roannaise - bon de 500 francs

Le dessin du bon de 500 francs de l’Union Economique Roannaise s’est largement inspiré du 50 francs bleu et rose de la Banque de France

On retrouve souvent les symboles des dieux du commerce, Mercure ou Hermès son équivalent grec, avec leurs attributs que sont la bourse, le plus souvent tenue à la main, le pétase (chapeau rond à bord large et ailé) et le caducée, symbole de la paix, de l’éloquence et du commerce. Il y a aussi Iris, l’équivalent féminin d’Hermès que l’on représente avec des ailes et un caducée. D’autres représentations féminines font plutôt penser à Fortuna qui porte parfois des ailes. Ses innombrables représentations ont comme attributs principaux la roue, la sphère, le gouvernail, une proue de navire et la corne d’abondance, synonyme de source inépuisable de bienfaits.

Le monde du travail est aussi représenté par le paysan et la paysanne, mais aussi par l’artisan (forgeron principalement) et la justice avec la balance et le livre des lois. On peut voir également sur certains bons la représentation la plus ancienne de Marianne coiffées d’une couronne végétale composée d’épis de blé, de feuilles de chêne ou de rameaux d’olivier, symboles des Lumières. De nombreux bons comportent le blason de la ville où siégeait l’UE.

 

Union Economique de Lorient bonde 50 centimes

Bon de 50 centimes de l’Union de Economique de Lorient
Allégorie de Marianne à l’épis de blé (à gauche) et de Mercure (à droite) – 
Vers 1925/1935

Union Economique de Lorient bonde 50 centimes

Union Economique de Lorient
Représentation de Fortuna distribuant ses richesses sur une roue ailée avec 2 cornes d’abondances.
Représentation de la mère de famille et du forgeron.

Tous les bons des UE, qui étaient affiliés à la fédération,
devaient comporter la mention suivante sur le recto :
« J’ai choisi ce jour au magasin… Porté sur la liste des fournisseurs des marchandises pour la somme de…».

Union Commerciale & Industrielle de Montbéliard - Bon de 100 Francs

Bon de 100 Francs de Union Commerciale & Industrielle de Montbéliard – avec la mention de la fédération. Vers 1920/1930

Bon de 5 Francs de Union Economique des Commerçants Dolois

Bon de 5 Francs de Union Economique des Commerçants Dolois, fondée en 1913 – daté de 1930

 

1939-1945 et L’après-Guerre
Pendant le conflit, les Unions Economiques ont été durement éprouvées, leurs activités tournaient au ralenti ou cessèrent. Ce n’est qu’à partir de 1947/48 que les affaires repartirent. Le chiffre d’affaires des UE affiliées à la fédération atteignit 1 milliard d’anciens francs dès 1948. Cette évolution poussa les unions à se tourner vers la Banque de France afin d’accéder à des moyens financiers plus importants. Dans une lettre datée du 28 juillet 1948, Monsieur Doublet, alors Président des Unions Economiques, demanda entre autres à « ce qu’il doit dérogé en leur faveur à la politique de limitation générale des avances bancaires » en vue « d’autoriser les établissements de crédits à consentir aux Unions économiques des découverts en rapport avec leur situation financière et leur chiffre d’affaires ». La Banque de France s’empara du dossier et le transmit au Comité du crédit à court terme du CNC. Au début de l’année 1949, un rapport, qui mettait l’accent sur les moyens financiers dont disposaient les UE, fut publié.

Jusqu’à présent, les UE se tournaient vers les banques locales qui leur accordaient des facilités de caisse et des avances de découvert. Mais depuis septembre 1948, les consignes ont été de réduire les découverts, d’où les problématiques posées au UE, notamment leur difficulté pour celle-ci à procéder à des augmentations de capital, d’où leurs demandes de dérogation. Les UE insistèrent également sur leur rôle social. En effet, les bons d’achat servaient à satisfaire des besoins très légitimes comme l’habillement, objet de la maison, etc… sauf alimentaires. La clientèle venait des classes pauvres ou moyennes. Le capital des Unions Economiques était apporté par les commerçants actionnaires. Les ressources étaient composées des commissions versées par les acheteurs-abonnés pour environ 6 à 9% et des ristournes consenties par les fournisseurs/commerçants adhérents pour également environ 6 à 9%. Les UE percevaient en moyenne 16% des crédits accordés.

Mais la réponse du comité n’est pas allée dans le sens des besoins des UE. Le comité avait mis en avant des risques et proposé que les UE s’autofinancent, il a suggéré l’allongement de la durée de remboursement des bons et avançait que l’augmentation de capital ne semblait pas un problème majeur : « dans la très grande majorité des cas, il est difficile de prétendre que les commerçants adhérents ne sont pas en mesure de souscrire à des actions nouvelles ». Par contre le comité ne niait pas le rôle social des UE.

Pire que le rapport d’Henri de Montbrial de 1948, celui du Comité du crédit à court terme de 1949, dénigrait le crédit à la consommation délivré par les UE. Le rapport fut discuté entre les représentants du CNC, ceux de La Banque de France et celui du commerce. La discussion fut animée. Au final, le refus de réglementer le crédit à la consommation et celui d’introduire de nouvelles faveurs aux Unions, revenait à les condamner à plus ou moins long terme. Et pour ne pas arranger les choses, les Unions pâtirent également de l’apparition au début des années 50 des fausses Unions Economiques, dirigées par des affairistes voulant surfer sur la notoriété des vraies. Ces fausses unions pratiquaient des crédits, dits « crédits Leonine » qui défrayèrent la chronique de cette époque. En effet, ces crédits contenaient la fameuse clause Léonine qui attribue à une des parties des droits disproportionnés par rapport à ses obligations.

Beaucoup d’UE arrêtèrent leurs activités pendant les années 60, d’autres tentèrent de résister en fusionnant, mais elles finirent par disparaître. Il semble qui n’y est pas eu d’émission de bons de crédit dans les années 70 par les dernières UE existantes. Parmi celles-ci, l’Union Economique Roannaise ferma en 1973 et l’Union commerciale de Toulon en 1975.

Bon de 5000 anciens Francs surchargé en 50 nouveaux Franc - Bon union economique rochelaise

Bon de 5000 anciens Francs surchargé en 50 nouveaux Francs
de l’Union Economique Rocheraise, fondée en 1907.
Vers 1960 – Le nouveau Franc remplace le Franc Germinal (ou Franc Bonaparte) créé en 1803.

 

Mes recherches continuant, cette article sera l’objet de mise être à jour.

 

 

Olivier Bocquet
Numismate, passionné par l’histoire
sous l’angle numismatique

Sources bibliographique :
– Le crédit à la consommation en France 1947-1965 par Sabine Effosse
– Rapport gouvernemental de 1914
– Bulletins de la Fédération des Unions Economiques
– Archives personnelles
Crédits photos : O. Bocquet – La reproduction des photos sur un support électronique quel qu’il soit est formellement interdite sauf autorisation expresse du directeur de la publication. Les droits de reproduction des textes de ce site sont réservés et strictement limités sauf en cas de demande spécifique.

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