Interview de Gildas SALAÜN, chargé du médaillier du Musée DOBRÉE

Interview de Gildas SALAÜN, chargé du médaillier du Musée DOBRÉE

Le musée départemental Thomas-Dobrée, couramment appelé musée Dobrée est un musée situé en plein cœur de Nantes dans le quartier Graslin. Il est composé de deux bâtiments. D’une part le palais Dobrée, de style néo-médiéval et d’autre part le manoir de la Touche, ancienne résidence épiscopale datant du xve siècle.

Thomas Dobrée (1810-1895), fils d’un riche armateur, se retrouve en 1828 à la tête d’une grande fortune qu’il utilise à l’acquisition de collections (archéologiques, peintures, estampes, orfèvrerie, mobilier, tapisseries…). Pour abriter ses oeuvres, s’inspirant de l’architecture médiévale, il projette de construire un grand palais, sur des terrains qu’il avait acquis sur le Bois de La Touche, selon les plans établit d’abord par l’architecte Viollet-Le-Duc, puis à l’aide successive des architectes nantais Simon, Boismen, Chenantais et Le Diberder.

 


Thomas Dobrée en 1829 à 19 ans

 

Suite au don de Thomas Dobrée, cet édifice est devenu en 1895 le musée départemental de la Loire-Inférieure. Aujourd’hui, il appartient au conseil départemental de la Loire-Atlantique. Il est devenu un centre de recherche et de documentation, ainsi qu’un outil pédagogique et un pôle d’animation culturelle.

Si le musée est riche des collections léguées par Thomas Dobrée, c’est à un autre personnage que l’on doit la très belle collection de numismatique, Fortuné Parenteau (1814-1882).

Aujourd’hui, Gildas Salaün en est l’attaché de conservation. C’est à l’occasion de la sortie de son nouveau livre sur les dépôts monétaires que NUMISMAG l’a interviewé.

 

NUMISMAG : Votre livre met en lumière les dépôts monétaires qui constituent une grande partie des collections du Musée DOBRÉE. Combien de ces dépôts ont-ils intégré les collections du Musée ?

Gildas SALAÜN : Le Musée Dobrée conserve tout ou partie de presque trente trésors monétaires mis au jour en Loire-Atlantique et environ soixante-dix pièces trouvées isolément dans le même département. Cependant, soyons précis, parfois le musée conserve l’ensemble du trésor, parfois un échantillon seulement, parfois juste une seule pièce, c’est variable. Dans deux cas, le musée ne conserve que le pot ayant contenu le trésor. Ceci est souvent lié aux conditions de la découverte ou à son ancienneté aussi. Au XIXème siècle en effet, il n’était pas rare que les trésors soient très vite dispersés, voire fondus, avant que les érudits locaux n’aient le temps d’intervenir pour en assurer la préservation.

 

Interview de Gildas SALAÜN, chargé du médaillier du Musée DOBRÉE

Portrait de Fortuné Parenteau (1814-1882), fondateur de la collection numismatique du Musée Dobrée

 

Il faut ajouter, que le Musée Dobrée conserve également une demie douzaine de trésors et quelques dizaines de monnaies isolées mis au jour dans les départements limitrophes à la Loire-Atlantique, en particulier la Vendée et dans une moindre mesure le Morbihan et le Maine-et-Loire. Ceci est dû au parcours personnel des collectionneurs-chercheurs qui sont à l’origine du fonds conservé aujourd’hui au musée.

 

Quelle est votre fonction au sein du Musée et quelles sont vos missions ?

Je suis chargé des collections de numismatique depuis vingt ans maintenant. J’en assure l’inventaire, le classement, l’analyse scientifique, l’enrichissement et la valorisation par des conférences, des publications et des expositions.

 

Quelle période est la plus représentée parmi ces dépôts conservés du musée DOBRÉE ?

Comme c’est souvent le cas, c’est l’antiquité gallo-romaine qui est numériquement la plus représentée parmi ces dépôts et pour cause… Rien que le trésor de Pannecé II, enfoui au printemps de l’année 274, comprend environ 41 200 pièces ! Et le musée a la chance d’en conserver l’intégralité ! Pour la même période s’y ajoute le trésor de La Chapelle-Launay, comprenant 3 500 pièces, et les 1 500 monnaies découvertes aux Cléons, lieu-dit de la commune de Haute-Goulaine. Dans tous les cas, il s’agit presque exclusivement d’antoniniens, notamment des empereurs Gallien, Postume et Tétricus.

 

Interview de Gildas SALAÜN, chargé du médaillier du Musée DOBRÉE

Le trésor de Pannecé au moment de sa découverte. C’est en novembre 2002 que ce trésor a été découvert dans un petit village de Loire-Atlantique, par deux promeneurs dans un champ fraîchement labouré. Le trésor est composé de 41000 pièces de monnaie, pesant 108 kilos. Il était enfermé dans 3 pots en terre cuite. Les pièces ont été enfouies vers 270 après JC, une période de très grande insécurité.

OOO

Interview de Gildas SALAÜN, chargé du médaillier du Musée DOBRÉE

 

Antoninien de Gallien découvert dans le trésor des Cléons en cours de restauration par le laboratoire Arc’Antique

OOO


Le Trésor du Pouliguen, découvert par hasard en 2002 durant la rénovation d’une maison. Ce dépôt monétaire est composé de 320 monnaies d’or, notamment des Napoléons, Génie…, accumulées progressivement depuis le Second Empire jusqu’à 1906, et dissimulées dans un tuyau de plomb !

OOO

Quelle est la définition d’un dépôt monétaire ?

Il y a deux catégories de dépôts monétaires. Tout d’abord, les trésors qui se définissent par un ensemble d’au moins deux monnaies dissimulées ensemble volontairement ou non dans un même contexte archéologique. Et il y a d’autre part, les monnaies isolées. Là, il s’agit de toutes ces pièces trouvées une à une. Celles-ci sont souvent le produit de pertes accidentelles. Elles sont très intéressantes pour confirmer les données fournies par les trésors. En outre, elles témoignent de l’occupation d’un site.

Solidus de Sévère III frappé à Ravenne et découvert à Ligné

 

Y a-t-il une nomenclature des dépôts monétaire, selon les causes qui ont pu entraîner leur constitution ou selon leur composition ?

À ma connaissance non. Les conditions de l’enfouissement sont toujours très vite recherchées par les archéologues, mais elles ne constituent pas un facteur de classification.

Les nomenclatures existantes sont toutes basées sur des critères chronologiques et géographiques.

Parmi ces nomenclatures on signalera bien entendu la dizaine de volumes des Corpus des Trésors Monétaires Antiques de la France édités par la Société Française de Numismatique entre 1982 et 1994 et surtout les presque trente tomes de la collection des Trésors monétaires éditée par la Bibliothèque nationale de France.

Pour les médiévistes et modernistes, j’ajouterais aussi les deux tomes consacrés par Jean Duplessy aux Trésors monétaires médiévaux & modernes découverts en France et le récent ouvrage de Jens-Christian Moesgaard sur Les trésors monétaires médiévaux découverts en Haute-Normandie.

Permettez-moi enfin de signaler Trésors enfouis – De l’âge de Fer à la Révolution, un ouvrage auquel j’ai eu le privilège de collaborer à l’occasion d’une exposition organisée au musée de Vannes.

 

Que peut-on apprendre de manière plus générale par l’étude des dépôts monétaires ?

Les dépôts monétaires peuvent nous apporter une foule de renseignements. Mais pour cela, il faut non seulement les analyser de manière individuelle, puis surtout les « mettre en résonance » par une étude comparée à une échelle géographique élargie. Un seul trésor n’apporte finalement pas grand-chose d’autres que des informations purement numismatiques (variétés inédites, nouveaux exemplaires de types rares), c’est vraiment l’analyse croisée de plusieurs dépôts qui apporte de vraies données historiques sur une région à une période donnée.

Avec cette méthode, l’étude des dépôts monétaires peut mettre en évidence les relations commerciales entrantes et sortantes entre des territoires. Les dépôts monétaires de type « enfouissements hâtifs » trahissent des situations politiques et militaires troublées. A contrario, l’absence de trésors et/ou les thésaurisations montrent des périodes de stabilité, de dynamisme économique, voire d’opulence.

Il faut être conscient que les dépôts monétaires sont autant de traces archéologiques des activités humaines : commerce, guerre, politique, vie quotidienne, croyances aussi…

 

Parmi les dépôts monétaires que vous évoquez, trois d’entre eux étaient constitués de haches datant de l’âge de bronze. Pourquoi, selon vous, s’agit-il de dépôts monétaires ?

Cette interprétation n’est pas de moi, mais je la partage totalement. En fait, l’Armorique de l’âge de bronze connaît une intense production de haches, notamment « à douille », que l’on retrouve dans des dépôts volontaires bien ordonnés. Ces haches ne présentent aucune trace d’usage, d’ailleurs elles n’ont même pas de tranchant… Ces haches n’avaient donc aucune fonction utilitaire ! On a constaté ensuite qu’il existait des typologies locales particulières avec des motifs propres à chaque secteur de production. L’étude de ces types a permis de mettre en évidence la circulation de ces haches qui se diffusaient dans toute l’Armorique, parfois même au-delà.

 

Dépôts de haches à douille de Ruffigné

Toutes ces caractéristiques : symboles locaux particuliers, diffusion, enfouissements volontaires, aucune fonction utilitaire, ont amené les archéologues à considérer que les haches en bronze constituaient les paléo-monnaies armoricaines.

 

Quels sont les grands événements qui au cours de l’histoire de la Loire-Atlantique ont été la cause d’enfouissements de dépôts monétaires ?

Ce sont les périodes de guerre et d’insécurité qui apparaissent le plus souvent.

Tout d’abord, la période très troublée de l’Empire gallo-romain durant la seconde moitié du IIIème siècle. Ensuite au Moyen-Âge la guerre de succession de Bretagne (1341-1365) et les guerres d’indépendance de Bretagne (fin XVème). Enfin, les terribles Guerres de religion ont profondément marqué la région nantaise à la fin du XVIème siècle.

Ainsi, tous ces dépôts monétaires témoignent de l’importance géostratégique de la Basse Loire et de son estuaire.

 

Quels types de pièces ont été découverts dans les dépôts monétaires de Loire Atlantique ?

Comme nous l’avons dit, beaucoup d’antoniniens caractéristiques de l’Empire gallo-romain, mais aussi beaucoup de blancs et de gros de billon pour le Moyen-Âge. Enfin, des pièces d’or, notamment pour l’époque gauloise et mérovingienne ainsi que pour la période moderne.

Quart de statère des Riedones découvert à Clisson

La typologie est donc extrêmement variée. L’origine géographique des monnaies en circulation dans le département de Loire-Atlantique est également très hétéroclite : Irlande, Angleterre, Belgique, Espagne, Italie et même la Russie.

 

 

Grosso d’argent de Venise découvert à Nantes, Dessin à la plume de Fortuné Parenteau

Florin d’or d’Utrecht découvert à Soudan

 

D’autres ouvrages numismatiques seront ils édités par Grand Patrimoine de Loire Atlantique dans les mois ou années à venir ?

Oui, nous préparons la publication des collections de monnaies mérovingiennes du musée. Avec près de 80 monnaies, le Musée Dobrée conserve l’un des principaux fonds français pour cette époque.

Tiers de sou mérovingien frappé à Rennes et découvert à La Limouzinière

 

Ce qui caractérise principalement cette collection, c’est son fort ancrage local. En effet, en Loire-Atlantique il y eut sept ateliers monétaires mérovingiens actifs, notamment à Nantes, mais aussi à Rezé et à Campbon. Ces ateliers sont presque tous représentés dans la collection. Par ailleurs, une fois encore nous avons la chance d’avoir une collection très richement documentée. Aussi, avec plusieurs collègues et des confrères, nous avons mené un important travail d’investigation en archives ce qui nous a permis de retrouver la provenance archéologique de la moitié des pièces et d’identifier presque tous leurs anciens propriétaires, dont certains sont restés célèbres comme Benjamin Fillon (1819-1881), numismate et archéologue. Enfin, grâce à un partenariat avec le Centre Ernest Babelon du CNRS pratiquement toutes les monnaies ont été analysées. Les résultats, parfois stupéfiants, seront publiés pour la première fois à cette occasion…

 

 

 

Le nouvel ouvrage de Gildas Salaün –  Dépôts monétaires en Loire-Atlantique

Cet ouvrage est dédiée à la présentation des collections du médaillier du musée Dobrée, l’un des plus prestigieux de France, sous l’angle de l’histoire et de la description du mobilier archéologique issu de très nombreux dépôts monétaires trouvés en Loire-Atlantique.

 

Sources : Musée Dobrée, Gildas Salaün, NUMISMAG©

Laisser un commentaire

Your email address will not be published. Required fields are marked *

Newsletter signup

RECEVEZ GRATUITEMENT
LES ACTUALITÉS

Merci de patienter

Merci pour l'inscription

×