Chiara PRINCIPE, digne ambassadrice de l’école de gravure italienne

NUMISMAG a eu l’occasion d’interviewer Chiara PRINCIPE, graveur indépendante italienne bien connue, quelques semaines après l’émission officielle de la pièce commémorative Vatican 2021 de 2 euros, dédiée à CARAVAGE. Cette pièce commémorative de 2 euros est l’une des dernières créations de Chiara.

 

Chiara PRINCIPE, designer italienne freelance de pièces et de médailles

 

NUMISMAG: Chiara, quelle est votre formation artistique initiale ?

CHIARA PRINCIPE: La passion pour l’art, l’habileté manuelle et la créativité ont toujours fait partie de moi. Le dessin est en fait mon premier amour. Je me souviens que, lorsque j’étais enfant, je passais des heures et des heures avec des crayons et des feuilles à dessiner tout ce que je voyais autour de moi et à créer de nouvelles formes, des personnages et des histoires. Mes idées étaient claires dès le départ. L’art devait occuper une place centrale dans ma vie.

J’ai donc fréquenté l’école d’art avec une spécialisation en sculpture, où j’ai eu la chance d’avoir comme mentor Giacomo Micalizzi, un grand sculpteur qui m’a transmis l’amour du modelage sous toutes ses formes et envers qui je serai toujours reconnaissante. Une fois mon diplôme en poche, j’ai rencontré presque par hasard l’école d’art de la Monnaie italienne (École des Arts appliqués).

C’est à cette rencontre que je dois ma passion pour le monde de la numismatique et, finalement, pour ce qui est mon métier aujourd’hui. Ma formation spécifique s’est déroulée au sein de cette école qui, à la fin, grâce à une bourse obtenue pour mérites académiques, m’a également offert ma première expérience professionnelle de deux ans à la Monnaie italienne.

 

 

 

2018 Rome Marathon medal of Chiara PRINCIPE

 

NUMISMAG: Avez-vous eu un mentor dans l’étude de la gravure ? Si oui, qui est-ce ?

CHIARA PRINCIPE: Grâce à l’entrée à l’école d’art de la Monnaie italienne, j’ai eu l’occasion d’apprendre l’art de la gravure auprès de quelques-uns des meilleurs graveurs italiens : Uliana Pernazza a été celle qui m’a tout appris sur le monde de la création de pièces et de médailles, et surtout elle m’a transmis et continue de me transmettre la passion et le dévouement pour cet art hors du commun. En fréquentant l’École, j’ai également eu la chance d’avoir de nombreux mentors  » indirects « , qui n’étaient pas mes professeurs directs mais dont l’École était riche en œuvres : Je pense au grand maître Laura Cretara (première femme graveur de la Monnaie italienne), et aux autres artistes graveurs contemporains et non contemporains, qui à travers leurs œuvres exposées m’ont inculqué ce paramètre de beauté et de complétude artistique qui m’appartient encore.

 

CHIARA PRINCIPE à son établi

 

NUMISMAG: Qu’est-ce qui vous a intéressé dans la gravure de pièces et de médailles ?

CHIARA PRINCIPE: Lorsque j’ai commencé à étudier ce type d’art particulier, je ne savais pas à quel point ce nouveau monde allait me conquérir. L’harmonie et l’élégance du cercle en tant que champ de composition m’ont immédiatement fascinée, ainsi que la finesse et le souci du détail  de l’art numismatique. Ce qui m’a immédiatement séduit, c’est que l’artiste numismate doit relever le défi d’exprimer sa créativité dans un espace très réduit : tout son art doit s’exprimer dans quelques centimètres de métal et doit pouvoir communiquer son message de manière directe et claire, sans avoir besoin de trop d’explications. En outre, aucune autre œuvre d’art ne passe de main en main comme une pièce de monnaie. On ne peut ni la regarder d’aussi près ni la toucher dans ses moindres détails. C’est une opportunité énorme, et en même temps un défi toujours nouveau qui continue à me fasciner aujourd’hui encore.

 

Médaille haut relief  2019 « Boite de Pandore », par Chiara Principe

 

NUMISMAG: Quelles sont vos sources d’inspiration ?

CHIARA PRINCIPE: Je crois que tout ce qui constitue le bagage humain et culturel d’un artiste, ainsi que la phase de vie qu’il traverse, inspire inconsciemment chacune de ses œuvres, dans le choix des sujets et dans le style. Stylistiquement, mes sources d’inspiration vont de l’art italien classique et de la Renaissance aux médailles italiennes de la fin des années 800 et du début des années 900, mais ma créativité se nourrit surtout de la contemporanéité que je vis, des expériences quotidiennes, des voyages, des livres, des rencontres et des échanges avec d’autres collègues artistes, une expérience plus que jamais unique et enrichissante.

 

NUMISMAG: Préférez-vous graver une médaille ou une pièce de monnaie ?

CHIARA PRINCIPE: La médaille et la pièce de monnaie ont un processus créatif très différent et, dans les deux cas, fascinant. J’ai toujours préféré la médaille au niveau sculptural, pour la possibilité de jouer avec plus de reliefs et de hauteurs de modelage, ce qui nous donne, à nous artistes, une plus grande liberté d’expression. Mais depuis que j’ai commencé ma carrière d’indépendant, j’ai surtout travaillé sur des projets de pièces de monnaie. J’ai appris à les apprécier pour le grand défi qu’elles représentent, en raison des spécifications techniques qu’il faut prendre en compte. Ces dernières années, cependant, même la pièce de monnaie sur le marché numismatique moderne change littéralement de forme, se rapprochant de plus en plus de véritables petites sculptures (et parfois de peintures !). Je suis désolé mais je ne peux plus choisir entre pièce et médaille 🙂

 

NUMISMAG: Quelles sont les contraintes techniques auxquelles vous êtes confronté pour graver des pièces et des médailles ?

CHIARA PRINCIPE: Les contraintes techniques semblent nombreuses. Toutefois, bien que plus que des contraintes j’aime les considérer comme des caractéristiques propres, qui rendent ces petites œuvres d’art uniques, les distinguant de toutes les autres. La petite taille et le modelage en très bas relief sont apparemment la principale pierre d’achoppement, mais il est également important d’équilibrer les volumes entre l’avers et le revers pour garantir la facilité de frappe lorsque la pièce ou la médaille est frappée en métal.

La plus grande contrainte, à mon avis, est toujours celle intrinsèque à l’objet « monnaie », c’est-à-dire le fait de devoir créer un dessin qui exprime un concept immédiat, compréhensible par n’importe qui s’il le trouve entre ses mains, clairement visible dans de petites dimensions et se suffisant à lui-même (sans besoin d’explications). Enfin et surtout, le dessin doit être également valable sur le plan artistique et captivant pour le marché numismatique!

 

NUMISMAG: Quelle expérience tirez-vous du concours de design 2007 de la Monnaie du Japon ?

CHIARA PRINCIPE: J’ai un très beau souvenir de ce concours. C’était mon premier dans le domaine numismatique, à la fin de ma première année d’études à l’école d’art de la Monnaie italienne. Je me souviens encore que lorsque j’ai appris que mon projet avait été choisi parmi les cinq finalistes internationaux, j’avais du mal à y croire ! Ce fut une expérience plus enrichissante que jamais, également parce que c’était en fait ma première expérience de modélisation de pièces de monnaie, avec des reliefs très bas et homogènes. Un vrai défi pour la débutante Chiara, mais surtout une grande opportunité pour son évolution artistique et professionnelle!

 

 

NUMISMAG: Quel était votre projet ? Quels ont été vos choix graphiques pour ce projet (source, sujet, style, etc.) ?

CHIARA PRINCIPE: Mon projet célèbre le dixième anniversaire de la rédaction du Protocole de Kyoto, signé dans cette ville japonaise le 11 décembre 1997 par plus de 160 pays. Le grave problème du réchauffement de la planète est le sujet du traité, et pour cette raison le globe apparaît sur la pièce comme l’élément fondamental, qui relie le recto et le verso de la pièce.

A l’avers, on peut voir le globe terrestre sur lequel se trouve une carte avec tous les pays qui ont accepté le protocole (les pays non signataires se distinguent des autres par une surface satinée). Sur le côté inférieur, la terre est traversée par une ligne incisive et irrégulière. Elle représente le graphique de l’évolution de la température globale au cours des 1000 dernières années.

Au revers, le globe est dominé par deux tours d’une centrale nucléaire, dont les émissions enveloppent la face supérieure de la sphère, qui apparaît ainsi aride et sèche, rappelant des régions désertiques typiques.

 

 

 

Avers et revers, médaille PROTOCOLE de KYOTO 2007, par Chiara PRINCIPE

 

NUMISMAG: How did you manage to work for the Vatican and San Marino Mints?

NUMISMAG: Comment avez-vous réussi à travailler pour les Monnaies du Vatican et de Saint-Marin?

CHIARA PRINCIPE: Ma collaboration avec ces Monnaies nationales a commencé comme cela se passe pour tout emploi normal, avec l’envoi d’un curriculum vitae et d’un portfolio artistique ! Il s’en est suivi un entretien, puis la première mission, qui pour tout artiste est toujours un banc d’essai. C’est en 2012 que j’ai signé ma première pièce, et c’était pour la Cité du Vatican. C’est à la République de Saint-Marin que je dois la signature de mon premier timbre, tandis que ces dernières années, notre collaboration s’est poursuivie dans le domaine numismatique.

Timbre dédié à Beethoven par Chiara PRINCIPE

 

 

NUMISMAG: Pour quels autres pays avez-vous gravé des pièces de monnaie ou des médailles ?

CHIARA PRINCIPE: J’ai conçu des pièces et des médailles pour des entreprises en Angleterre, en Finlande, en Espagne, en Lituanie et aux États-Unis.

 

NUMISMAG: Quel est le projet qui vous a le plus passionné (médaille ou pièce) ?

CHIARA PRINCIPE: Il est difficile de faire un choix parmi les nombreux projets qui sont restés dans mon cœur.  » Affectivement  » parlant, je choisirais probablement ma première pièce de 2 euros, émise par la Monnaie du Vatican en septembre 2015 (en même temps que mon mariage !) et dédiée à la famille, à l’occasion de la Rencontre mondiale des familles de Philadelphie 2015. C’était la première pièce dans laquelle je proposais un style figuratif plus personnel, moins réaliste et plus symbolique, et la satisfaction a été vraiment grande !

 

 

Mais au fil des années, notamment grâce à la clientèle extra-italienne, arrivent des projets qui me passionnent de plus en plus. C’est le cas, par exemple, des dessins réalisés cette année pour l’East India Company dans le cadre de la nouvelle collection Trade Dollar, dont la première pièce consacrée à la Chine vient d’être émise par l’État de Sainte-Hélène. Une commande qui a laissé une large place à ma créativité et qui prévoit l’émission de cinq pièces dans les deux prochaines années. J’ai hâte de les voir toutes réalisées 🙂

 

 

 

 

Chine – première pièce de la série « Trade dollar », par Chiara PRINCIPE

 

NUMISMAG: Quel a été le projet le plus difficile à réaliser sur le plan technique (médaille ou pièce) ?

CHIARA PRINCIPE: Plusieurs projets m’ont mise à l’épreuve à différents niveaux. quant à l’aspect technique, je pense à deux pièces qui ont nécessité des précautions particulières et un plus grand soin dans la réalisation.

Tout d’abord, il y a eu ma première micro-monnaie, gravée en 2018 pour la Cité du Vatican. Créer le design et les modèles pour une pièce qui n’aura que 13,85 mm de diamètre signifie bouleverser les paramètres avec lesquels on a l’habitude de travailler. J’ai du reformuler / redimensionner chaque espace et relief au minimum. Dans ce défi, j’ai été beaucoup aidé par le soutien avisé de l’artiste Maria Carmela Colaneri, le graveur en chef de la Monnaie italienne qui a suivi la frappe de cette pièce, et pour lequel j’ai une profonde estime. Ses connaissances techniques et sa longue expérience dans le domaine ont été un soutien précieux et ont beaucoup contribué au succès de cette micro-pièce, qui fait partie de mes travaux préférés.

 

Du point de vue de la complexité de la modélisation, en 2020 pour les émissions du Vatican, j’ai été confronté à l’un des sujets les plus célèbres et les plus complexes de l’histoire de l’art italien, La « Pietà » de Michel-Ange. Réalisée pour l’innovante pièce en cuivre de 10 euros, cette modélisation représentait un beau défi. Les détails minutieux et la richesse des volumes et des drapés de ce sujet sont évidents, mais avoir tout modélisé dans un relief maximum de 3 mm a nécessité un travail long, minutieux et passionnant. Je suis très heureuse de l’avoir réalisé.

 

 

 

NUMISMAG: Quelles anecdotes avez-vous sur le projet de la pièce de 2€ 2021 du Vatican sur le peintre CARAVAGE ?

CHIARA PRINCIPE: Comme les 2 euros sont le type de pièces que je préfère, j’ai immédiatement accueilli avec enthousiasme cette tâche que m’a confiée la Monnaie du Vatican. Lorsque j’ai appris que la pièce serait dédiée au peintre maudit, comme on le surnommait, j’ai été encore plus heureux ! Je savais que ce thème serait très populaire et que Saint-Marin émettrait également une pièce commémorative de 2€ dédiée au Caravage. Ce qui m’a étonné, c’est que la Monnaie du Vatican, parmi les différentes propositions que je lui ai présentées, au lieu d’opter pour l’un des nombreux et beaux sujets du Caravage représentant des scènes ou des thèmes à caractère religieux, a finalement choisi une œuvre profane, le tableau du  » garçon au panier de fruits « . C’est une huile sur toile conservée ici à Rome dans la Galerie Borghèse. Il était agréable de constater alors, une fois la pièce de monnaie émise, que la République de Saint-Marin avait plutôt opté pour un sujet religieux ! Ne jamais rien prendre pour acquis, même dans le domaine numismatique 🙂

 

 

 

 

 

 

 

 

 

2€ commémorative 2021 du VATICAN – CARAVAGE, par Chiara PRINCIPE

« De l’esquisse à la pièce de monnaie »

 

NUMISMAG: Dans quels autres domaines artistiques avez-vous produit des œuvres ?

CHIARA PRINCIPE: Lorsque j’ai commencé à faire mes premiers pas dans le monde de la numismatique, l’une des premières commandes importantes qui m’est venue était dans le domaine philatélique. Depuis ce premier timbre pour la République de Saint-Marin, j’ai continué à travailler dans le domaine de la philatélie en réalisant des œuvres également pour la Cité du Vatican, et au fil des ans, j’ai de plus en plus apprécié cette opportunité car elle m’a donné la possibilité de m’orienter vers l’art de la couleur et de l’illustration, et de me mettre à l’épreuve avec de nouveaux défis. En plus de la philatélie, je réalise sur commande des œuvres sculpturales telles que des trophées, des sculptures, des bas-reliefs et des reproductions, ainsi que des modelages en cire pour des moulages d’orfèvrerie de bijoux et de pièces uniques.

 

 

NUMISMAG: Êtes-vous une numismate ? Si oui, que collectionnez-vous ?

CHIARA PRINCIPE: Quand j’étais enfant, j’étais fascinée par les collections, et j’observais avec intérêt la collection de pièces étrangères que mon grand-père avait dans le salon de sa maison, à tel point qu’à chaque voyage, mes souvenirs préférés étaient les pièces en circulation dans les pays visités. Le fait de me retrouver maintenant à travailler dans ce monde merveilleux m’a donné envie de collectionner à nouveau, et j’ai donc commencé à collectionner mes pièces préférées, à savoir les 2 euros commémoratives. Je pense que, au-delà de la beauté esthétique, elles sont très significatives pour « lire » l’histoire récente de notre Europe, dans l’évolution des styles, des technologies et des thèmes. Et en poursuivant cette collection, j’aimerais qu’un jour mes enfants puissent aussi « lire » l’histoire en regardant ces pièces!

 

 

NUMISMAG: Comment voyez-vous l’avenir de la création numismatique ?

CHIARA PRINCIPE: Une question aussi belle que complexe ! Avant la pandémie, une belle table de débat internationale a été ouverte sur ce sujet, grâce à la première édition du Coin Design Forum qui s’est tenue à Shanghai en novembre 2019.

 

 

Un événement unique, qui réunissait pour la première fois ceux qui sont à la base de la création numismatique – c’est-à-dire les artistes – pour discuter précisément de l’évolution et du futur de cet univers. Cela aurait dû devenir un événement annuel -maintenant en stand-by à cause de la pandémie- et pour avoir vécu en 2019 cette merveilleuse expérience, je crois pouvoir dire que c’est précisément dans cette direction que devrait aller l’avenir de la création numismatique. Un avenir dans lequel la créativité de l’artiste revient au centre, en dialogue permanent avec les Monnaies nationales et les entreprises du secteur, pour raviver l’intérêt vivant pour ce marché très particulier. Dans un monde qui préfère la vitesse et la massification au détriment de la qualité et de la culture, même la monnaie risque de devenir un simple objet de marketing ou d’investissement.

Mais nous ne pouvons pas permettre que le symbole par excellence de notre histoire et de notre culture, quelque chose d’aussi ancien et important qu’une pièce de monnaie, soit réduit à cela ! Le Forum de Shanghai l’a souligné et a permis un beau dialogue entre de nombreuses personnalités impliquées dans le domaine numismatique. Le partage qui s’est créé entre les monnaies et nous, artistes du monde entier, a représenté un grand élan pour chacun d’entre nous, augmentant la créativité et le désir de grandir et d’apprendre les uns des autres, afin d’offrir des produits toujours plus excellents dans notre secteur. De belles bases pour espérer un avenir encore meilleur pour cette discipline!

 

 

Sources: CHIARA PRINCIPE et NUMISMAG.