14-18, La monnaie ou le troisième front – Exposition Monnaie de Paris 2018
- novembre 05, 2018
- par
- Olivier
Présentée au cœur du musée, cette nouvelle exposition présente pour la première fois la collection de monnaies de guerre, issue de l’exceptionnel fond de papier monnaie que possède la Monnaie de Paris. Dans cette exposition et à l’occasion du Centenaire de l’armistice, la Monnaie met en lumière, l’histoire mouvementée du paysage monétaire français et allemand de 1914 à 1918 (et au-delà pour l ‘Allemagne). Dominique Antérion, commissaire de l’exposition, nouveau responsable des collections historiques que la Monnaie de Paris, en est à l’initiative. Il a accordé à NUMISMAG une interview et nous le remercions pour le temps qu’il nous a consacré dans cette période particulièrement chargée pour lui.
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Dominique Antérion dans la salle du Médaillier de la Monnaie de Paris
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Dominique Antérion, vous êtes Chargé de Conservation du patrimoine de la Monnaie de Paris.
Pouvez-vous vous présenter aux lecteurs de Numismag, et notamment nous décrire votre parcours et nous expliquer en quoi consistent vos fonctions au sein de la monnaie ?
Mon parcours est atypique je le concède. J’étais encore étudiant à l’École du Louvre lorsque j’ai répondu, en 1991, à l’annonce de recrutement de guides-conférenciers pour le musée de la Monnaie (alors tout juste créé par Jean Belaubre). Par la suite, en plus des visites que j’assurai, on me confia des missions successives en lien direct avec les collections (inventaires, projets d’expositions, conférences, etc). À la fermeture du musée en 2012 je fus invité à réfléchir sur les contenus physiques, mais aussi multimédia du nouveau parcours permanent, qui a donc ouvert en septembre 2017. Fort de cela , la direction de la Monnaie décida de me remettre les rênes des collections monétaires et métrologiques que je commençais de facto à bien connaître.
Comment est née l’idée de cette exposition, sa genèse ?
Le musée de la Monnaie de Paris (NDLR : musée du 11 Conti-Monnaie de Paris) étant labellisé « Musée de France » et soumis aux contraintes d’ordre moral et intellectuel du Service des Musées de France, nous sommes de fait assujetti à l’opération de récolement décennal que j’évoquai précédemment. Il s’agit – pour faire simple – de vérifier que tout ce qui est censé faire partie des collections est bien présent à l’instant T. En 2017, le récolement s’est axé sur la collection de monnaies-papier (des billets de monnoye de l’Ancien Régime jusqu’aux billets de banque contemporains). Une fois conçu l’outil de récolement adapté à ce fond, j’ai confié l’opération à Axelle Janiak, une jeune chartiste du Nord (le détail n’est pas anodin). Un profil dont la rigueur et le sens de l’organisation me semblaient parfaitement convenir à pareille opération. Cette collaboration s’est magnifiquement déroulée avec, en moins d’un an, plus de 26.150 items recensés ! Dont une énorme collection de monnaies de guerres pour la période 14-18. Progressivement a germé dans nos têtes l’idée d’exposer une partie de ses monnaies en 2018, profitant, et de la représentativité de la collection, et des commémorations du Centenaire de 1918. Le plan d’exposition nous est vite apparu évident ! Même chose pour les monnaies à choisir, ainsi que pour les œuvres et documents à emprunter. Car il allait de soi que pareille exposition se devait de contextualiser cette monnaie de guerre, à toute fin, de la rendre parlante – voire familière – auprès du grand public. Le sujet n’est tout de même pas des plus glamours !
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Quels sont les différents sujets abordés et comment s’articule l’exposition ?
Qui dit exposition-dossier, dit exposition exhaustive et correctement classée ! Présentement, notre exposition s’articule en 3 parties, elles-mêmes divisées en plusieurs axes :
La première partie intitulée « Pour la France versez votre or » renvoi à l’affiche emblématique d’Abel Faivre sur laquelle je reviendrai ultérieurement. Elle démarre en 1914 avec une présentation de la situation monétaire courante en France. On y rappelle notamment l’usage, alors quotidien, de la monnaie d’or. On y rappelle aussi que très rapidement, Banque de France et Monnaie de Paris, ne parvinrent plus à assurer en suffisance la fabrication des espèces. Dans le cas de la Monnaie ses ouvriers sont au front, son directeur est affecté à la trésorerie aux Armées, ses ateliers pour partie déménagés. Quand bien même la structure aurait fonctionné, l’accès aux matières premières est rendu particulièrement compliqué. Quant aux métaux eux-mêmes ils deviennent stratégiques et imposent à l’État de revoir sa politique. Les règlements par crédit sont abandonnés au profit des règlements au comptant (1er août 1914), d’où une augmentation des besoins quotidiens en espèces divisionnaires. Face à la Guerre, la thésaurisation – notamment de l’or et de l’argent , puis du nickel dans un second temps – devient un fléau pour l’Etat et donne lieu à une « campagne de l’or » afin de faire sortir les métaux des bas de laine, d’augmenter l’encaisse de la banque de France, d’assurer le crédit de la France auprès des banques anglo-saxonnes, et de renforcer le gage du papier monnaies.
20 francs or « coq » de Jules-Clément Chaplain – 1914
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En avant l’armée de l’Epargne, c’est pour la patrie…
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Cette première partie se décline en sept axes :
- La circulation monétaire en 1914
- Le coût du déclenchement de la Guerre
- Le transfert des ateliers et les nouveaux types monétaires
- L’incitation à l’Emprunt
- La « Campagne de l’or »
- Les Bons de Défense Nationale
- La mobilisation de la monnaie et de l « armée de l’Epargne »
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Echangez votre or contre des billets. Achetez des bons des obligations de la Défense nationale
affiche de Draeger imprimeur – 1916
Paris, Bibliothèque Forney
« Du papier de grâce du papier » Ou comment l’on passe de la bonne monnaie au bon de monnaie. Tel est le titre de la deuxième partie de l’exposition. Inspiré du titre d’un article de Louis Latzarus paru en 1920 il montre que même après guerre le manque de petite monnaie est, et demeure, un problème récurrent !
Laissez circuler la monnaie d’argent et de billon…, affiche de Béatrice Grognuz pour le Comité National de Prévoyance et d’Economies – 1918
Bibliothèque historique de la Ville de Paris
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Essai de 10 centimes nickel de Emile Lindauer (avers et revers) – 1914
Monnaie de Paris /collections historiques
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Ce manque de numéraire inquiète les chambres de Commerce. Face à la nécessité impérieuse ne pas voir le commerce ralenti par le manque d’espèces et notamment de certaines coupure officielles (5, 10, 20 francs notamment) et fortes de l’expérience de 1870, elles renouent avec la mise en circulation de Bons de monnaies en papier, dont la valeur est garantie par la contre-valeur déposée en billets et en bons de la Défense Nationale à la Banque de France. La Guerre de 1870 est une fois encore un précédent quant aux émissions communales, c’est-à-dire autres qu’émanant des Chambres de Commerce.
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Liasse de bons de 50 centimes et 1 francs de la chambre de Commerce d’Annonay – environ 2000 billets – Prêt de la Ville d’Annonay.
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Le versement d’or à l’école communale de garçons, Paris Ve, photographie – 1915
Rouen, MUNAE
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En régions envahie, dès 1914 et plus encore à partir de 1915, on assiste à la mise en circulation de Bons de monnaies, émanant d’entités territoriales proches des usagers. Les municipalités en particulier. À noter que ces bons n’ont pas de contre-valeur ni de cours légal, leur circulation se substituant aux espèces courantes largement thésaurisées par les habitants. En somme pas de cadre légal pour cette monnaie mais une circulation sur la base d’une confiance de proximité avec les usagers. À noter que les autorités et décideurs locaux qui ont en charge de faire fabriquer ces monnaies ont aussi en charge de communiquer à leur sujet, y compris sur le respect de leur maniement. La fabrication de ces monnaies est également expliquée, depuis les bons frustres et pour partie manuscrits, aux véritables billets imprimés sur du « papier-monnaie ».
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Je remercie à ce sujet les Archives de la ville de Lille qui nous prêtent deux très rares pierres à lithographier les billets de 50 et 100 francs. Pour conclure cette partie nous rappelons la loi du 12 janvier 1926 (seul texte légal sur les bons de monnaie !) qui mettra fin à leur circulation. La petite coupure étant associée dans l’esprit des gens à des objets métalliques ronds, on assistera donc à partir de 1920 à l’apparition de « Bons pour » métalliques émanant des Chambre de Commerce frappés par la Monnaie de Paris de 1920 à 1929, mais dont la démonétisation n’interviendra que 20 ans plus tard le 1er septembre 1949 ! Huit axes sont développés dans cette deuxième partie :
- L’émergence de la monnaie-papier locale : les Chambres de Commerce
- L’émergence de la monnaie-papier locale : les Bons communaux
- Les monnaies de la zone occupée avec l’exemple de la 6ème place
- Les autres monnaies de nécessité (papiers et métalliques)
- Le maniement des billets !
- La fabrication des billets.
- Les bons de ravitaillement (civils, prisonniers)
- L’échange des bons, signe de jours meilleurs.
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Dernière partie, est assurément pour moi la plus étonnante : intitulée « L’art légendaire du» (la monnaie de nécessité Germanique) elle nous renvoi outre-Rhin à l’immédiat après-guerre
Le récolement de la collection a en effet révélé un fort bel ensemble de monnaie-papier allemandes que l’exposition entend présenter – à la différence des billets français – sous un angle d’avantage thématique et stylistique. L’exposition décline ainsi des thèmes forts et les qualités propres à ces monnaies qui prennent place dans le contexte de l’hyper-inflation de la République de Weimar.
On y souligne par exemple la qualité des papiers et des gravures avec un rappel de la tradition de la gravure sur bois allemande avec ses jeux de contrastes importants entre le noir et le blanc, ses lignes épaisses, que viennent renforcer la typographie et la qualité des papiers vergé.
Autre point que avons tenu à mettre en exergue : l’expression du nationalisme allemand et des revendications politiques exprimées notamment dans les émissions de billets des régions frontalières soumises à plébiscite telles que Süderbrarup (avec sa revendication d’appartenance à l’Allemagne et non au Danemark), ou encore de Slévig.
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Il serait trop long d’évoquer ici les nombreux thèmes portés par ces étonnants billets ! J’invite donc les lecteurs à venir découvrir l’Histoire d’Hermann et Dorothée de Goethe en dix billets (dont le musée possède la série complète) provenant de PÖSSNEKC. Ou encore l’étonnante série commémorative consacrée à Luther, émise en noir et blanc, par la ville d’Erfurt
Quant aux monnaies patriotiques en tissu de BIELEFELD, en bois d’ HADERSFELD ou en porcelaine de Saxe, elles sauront je pense séduire les visiteurs les plus réfractaires à cette période.
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Quels partenaires ont participé par leurs prêts à cette exposition ?
Si les monnaies papier, métalliques, en soie où en porcelaine proviennent toutes de nos fonds, il en va en revanche différemment des documents permettant de contextualiser ces objets. Les campagnes de l’or où celles des différents emprunts levés successivement par la France durant le conflit sont ainsi évoquées au travers d’affiches que nous empruntons aux fonds remarquables de BNP Paribas, de la Bibliothèque historique de la Ville de Paris ou de Forney. La contextualisation des monnaies communales en zone occupée se fait au moyen de placards empruntés aux Archives de Lille, de Roubaix ou du Département du Nord. Au final , les objets (par leur nature) parlent d’eux-même, rendant le sujet – austère avouons-le – fort accessible. Les affiches de l’époque s’adressaient aux Français simplement et de manière pédagogique. En conséquence notre exposition s’adresse aux visiteurs de la même manière et dans les mêmes termes !
Souscrivez à l’emprunt…, affiche de la Banque française pour le commerce – 1920
Paris, collection BNP PARIBAS
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Ville de Roubaix – émission de papier monnaie, affiche de la municipalité (Nord) – 1914 (24 août)
Roubaix, Archives municipales
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Je tenais par ailleurs à souligner combien la naissance de cette exposition s’apparente à une fort belle histoire qui va au-delà du fond exceptionnel que nous avons pu passer intégralement en revue (le récolement est une vraie opportunité pour les équipes de conservation). Ainsi, par le bouche-à- oreille relatif à ce projet d’exposition, et suite à des demandes d’emprunts que nous lancions ici et là, des donateurs se sont spontanément manifestés. Parmi nos plus grandes surprises, les deux célèbres affiches d’ Abel Faivre « On les aura » et « Versez votre or » – que nous devions emprunter à la BHVP – ont ainsi intégré nos fonds par don ! Même chose pour les diplômes de souscripteurs aux emprunts, ou encore les billets allemands de la République de Weimar. Un inattendu « retour sur investissement » j’avoue !
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On les aura ! Deuxième Emprunt de la Défense nationale…, affiche d’Abel Faivre – 1916 –
Monnaie de Paris /collections historiques
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La célèbre affiche d’Abel Faivre
Pour la France, versez votre or – 1915
Monnaie de Paris /collections historiques
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Certificat de donation d’Or – 1915
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Comment s’est constituée l’exceptionnelle collections de papiers monnaie de la MDP et de quoi est-elle composé ?
Vous touchez là à un pan entier de l’histoire de notre collection sur lequel tout demeure à faire ! Un grande quantité de billets de guerres ont été présentés après guerre sur des planche de papiers et fixés au moyen de bandelettes de papier japon. J’ai décidé que nous ne remettrions pas en cause cette présentation en dépit de l’acidité des dits papiers qui toutefois – bientôt cent ans après- n’a porté préjudice à aucun des billets concernés. Cette présentation – témoin d’un époque- présente notamment l’avantage de mentionner planche après planche le nom des donateurs : Institutions Françaises et étrangères, particuliers, militaires, etc. J’avoue qu’il y a là en filigrane un beau sujet de recherche …
50 centimes et 1 franc, billets de la Chambre de Commerce du Gers (Gers) – 1914 (18 novembre)
Monnaie de Paris /collections historiques
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Ce fond papier monnaie, sera-t-il exposé ou servira-t-il à alimenter de futures expositions ?
À mon grand regret, la présente exposition ne sera que temporaire. Car la conservation préventive des billets et documents papiers associés l’exige ! Pas plus de trois mois d’exposition à la lumière, à 50 lux maximum, c’est la règle. Tout retournera en resserve ensuite. De fait, ce fond de monnaies papiers est plutôt amenée à sortir de l’ombre dans le cadre d’expositions temporaires ou de prêts à d’autres institutions. Et nous espérons bien qu’il en sera ainsi à la faveur de la connaissance que chacun – personnes privées et institutionnelles – aura désormais de ce fond remarquable.
Permettez moi aussi d’ajouter une remarque tout personnelle. Jamais je n’avais approché de si près cette période contemporaine. Cette monnaie de guerre, et tout ce qui préside à sa circulation, furent donc une totale découverte pour moi ! J’espère donc que les visiteurs prendrons autant de plaisir à découvrir cette exposition que nous en avons eu à la concevoir.
Je voudrais enfin conclure mon propos par un remerciement que j’adresse tout particulièrement à Aurélien ROUSSEAU qui, alors qu’il était encore PDG de la Monnaie de Paris, a apporté son soutient inconditionnel à cette exposition. Traiter de monnaie papier à la Monnaie de Paris tient un peu de la gageure. Celle-ci est totalement assumée, car l’audace n’a pas de prix !
Depuis peu, vous êtes devenu responsable de toutes les collections de la Monnaie de Paris. En quoi consiste votre nouvelle fonction ?
Désormais c’est en effet de la totalité des collections dont je m’occupe : monnaies, médailles, jetons, machines et outillages de frappes, instruments scientifiques et métrologiques, mobiliers, œuvres d’art… 180.000 items tout de même ! J’en assure la gestion et veille à leur bonne conservation. Il me revient aussi de rendre des comptes à notre tutelle (l’État) tant sur l’état numérique de la collection – notamment au travers les opérations de récolement voulues par le législateur- que sanitaire. Je dois également en assurer l’enrichissement progressif ainsi que la diffusion tant par les prêts aux expositions que par les publications. Je ne vous cache pas que les journées sont bien remplies …
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L’avis de NUMISMAG
14-18, La monnaie ou le troisième front, est une très belle exposition sur un sujet pointu, mais traité avec beaucoup de pédagogie et illustré par 356 objets parfaitement représentatif, tous dignes d’intérêt et pour certains jamais exposés comme par exemple les matrices des pièces Lindauer et de la 20 francs Or Marianne et Coq.
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Monnaie de Paris. 11, quai de Conti (VIe).
Du mardi au dimanche de 11h à 19h, le mercredi jusqu’à 21h.
Tarifs: de 7€ à 10€.
1er mercredi du mois: tarif unique de 6€
Gratuit pour les moins de 26 ans.
Jusqu’au 19 mars 2019
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Sources : Dominique Antérion, Monnaie de Paris – NUMISMAG©